19 Avril 2018

Une nouvelle façon de suivre le bilan carbone depuis l’espace

Une étude internationale réalisée grâce au satellite européen SMOS permet désormais de suivre le bilan carbone de la végétation, avec une première application au continent africain. De 2010 à 2016, l’Afrique subsaharienne a subi des pertes liées à la déforestation humaine et aux sécheresses. Nous en discutons avec Yann Kerr, co-auteur de cette étude parue le 9 avril dans Nature Ecology & Evolution. Il a été directeur du CESBIO (Centre d’Etudes Spatiales de la BIOsphère) de 2007 à 2016 et est à l’origine du projet SMOS dont il est investigateur principal.

Le constat après 6 années d’observation de l’Afrique subsaharienne à 750 km d’altitude, est un recul de sa couverture végétale, et la perte des stocks de carbone qui y sont associés. Pour obtenir leurs résultats, les auteurs de l’étude ont utilisé les données du satellite SMOS (Soil Moisture and Ocean Salinity) qui est capable de mesurer et suivre l’humidité des sols depuis l’espace pour la première fois. Le satellite capte le rayonnement qu’émet la Terre dans le domaine des micro-ondes à basse fréquence qui sont très sensibles au contenu en eau. Pour pouvoir convertir ces données en informations sur le contenu en carbone de la surface terrestre, les auteurs ont mis au point un nouvel indice appelé L-VOD (L-band vegetation optical depth, l’épaisseur optique de la végétation en bande L) pour mesurer la variation de la quantité annuelle de biomasse (matière végétale au dessus de la surface), et ainsi en déduire la quantité de stocks de carbone qui y est associée.

Le bilan de cette étude sur l’Afrique sub-saharienne indique une tendance à une perte de carbone entre 2010 et 2016 : baisse des quantités de carbone stockés dans la végétation, et par conséquent augmentation de celle relâchée dans l’atmosphère. Le stock total de carbone est estimé à environ 64,5 ±13 Pg C (pétagrammes de carbone, soit un milliard de tonnes) mais varie avec le temps et tend à diminuer :
-0,05 Pg C (pétagrammes de carbone) par an en moyenne, mais avec une perte accentuée lors des épisodes de sécheresse (2015, perte nette de -0,69 Pg C soit quatorze fois la moyenne annuelle sur la période étudiée). A l’inverse, les régions semi-arides se comportent comme des puits de carbone lors d’années très humides telles que 2011 (+0,15 Pg C net sur l’année) et 2013 (+0,17 Pg C).

Légende : Variation des stocks de carbone entre 2010 et 2016, avec les gains en vert et les pertes en rouge. En « a », chaque pixel représente une perte ou une augmentation statistiquement significative. En « b », le bilan net en soustrayant les pertes aux gains, transposé en latitudes en « c ». En « d » et en « e » sont représentés séparément les pertes et les gains en fonction de leur intensité, puis transposés en fonction de leur latitude en « f » en pourcentages du L-VOD moyen.
Crédits :
Satellite passive microwaves reveal recent climate-induced carbon losses in African drylands, Nature Ecology & Evolution volume 2pages 827835 (2018)

La cause est double. L’Afrique est soumise à une forte déforestation liée à l’activité humaine, phénomène accentué par les sécheresses et les incendies : en brûlant, les forêts libèrent du dioxyde de carbone dans l’atmosphère lors de la combustion. Suivre la quantité de carbone qui y est stockée est aujourd’hui une nécessité pour pouvoir suivre les objectifs fixés par les accords internationaux sur les émissions de carbone. Et pour cela, il faut des indicateurs fiables : avant d’utiliser le L-VOD (fréquence de 1,4 GHz) avec SMOS, le VOD (Vegetation Optical Depth) était obtenu à partir des données des autres satellites qui utilisaient des fréquences plus élevées (supérieures à 5 GHz, qui saturent au-dessus des zones forestières.

« L’opacité de la végétation dépend de sa densité mais la capacité à pénétrer au sein d’un couvert est liée à la longueur d’onde d’observation, explique Yann Kerr. Les micro-ondes basse fréquence permettent de sonder l’ensemble de la strate végétale alors que les indices VOD issus d’observations hautes fréquences (5 Ghz et au-delà) ont des capacités de sondage limitées au sommet de la canopée dès lors que la strate de végétation est relativement dense. À 5 GHz la profondeur de pénétration 5 fois plus petite qu’en bande L, on ne sonde donc qu’une couche superficielle de forêt. Résultat, les capteurs des autres satellites saturent dès que l’épaisseur de la canopée dépasse un certain niveau dépendant de la longueur d’onde. Ça n’en faisait pas un outil efficace pour calculer la quantité de biomasse et de carbone de façon globale et notamment sur les forêts denses. Donc tous ces progrès ont été réalisés grâce à la radiométrie en bande L de  SMOS. »

L’étude démontre non seulement la faisabilité d’utiliser l’indice L-VOD, son utilité et sa fiabilité pour suivre les bilans de carbone en lien avec les conditions climatiques puisqu’il apporte une dimension temporelle aux cartes globales. Mais elle révèle surtout la forte dynamique des savanes sèches, malgré leur faible taux de carbone par unité de surface. Et c’est en connaissant la quantité et la répartition de l’humidité et du carbone dans le végétation africaine que l’on peut identifier les zones vulnérables. « Les changements nets sur les régions semi-arides apparaissent clairement associés à des tendances de dessèchement, poursuit Yann Kerr. Selon les années, il y a une forte variabilité dans les stocks avec des gains lors des années très humides et des pertes les années très sèches. Et le phénomène pourrait s’amplifier avec le réchauffement climatique et son impact sur les périodes sèches ou humides. Si les sécheresses deviennent plus fréquentes, les pertes de carbone pourraient être accélérées par le changement climatique et contribuer à l’intensifier. »

Pour aller plus loin

Contact

Premier Investigateur
Yann KERR
Courriel : yann.kerr at cesbio.cnes.fr
TEL : 05 61 28 25 37 / +33 5 61 28 25 37
Adresse :
Centre National d'Etudes Spatiales, 18 Avenue Edouard Belin, 31401 Toulouse Cedex 9, France

Responsable du programme Terre solide
Selma CHERCHALI
Courriel : Selma.Cherchali at cnes.fr
Tel : 05 61 28 13 84 / +33 5 61 28 13 84
Adresse :
Centre National d'Études Spatiales, 18 Avenue Édouard Belin, 31401 Toulouse Cedex 9, France